
Le stress est un phénomène à double entente. De courte durée, il peut favoriser la concentration et stimuler la
créativité. S’il se prolonge, il rend en revanche l’individu moins performant. Charles Darwin, fondateur de la théorie de l’évolution, a étudié sur luimême les effets que le stress exerce sur le corps humain. Le naturaliste en lui cherchait à savoir qui de la raison ou de l’instinct était le plus fort. L’expérience qu’il tenta consistait à plaquer
son visage contre la cage de verre d’un serpent venimeux. Tandis qu’il attendait l’attaque de la vipère, il essayait de se persuader qu’il ne courait aucun danger. Il était fermement résolu à ne pas reculer devant elle.
Le résultat ne fut pas celui qu’il avait espéré. Voici ce qu’il a noté à ce propos: «Sitôt l’attaque lancée, ma résolution fut réduite à néant et je fis, avec une vitesse étonnante, un bond de un ou deux mètres en arrière. Le danger était imaginaire, mais ma volonté et ma raison ne purent rien contre lui.» Comment expliquer du point de vue des neurosciences l’échec de l’expérience tentée par Darwin?
Se protéger d’abord, réfléchir ensuite
Le réflexe de peur de Darwin fut provoqué par l’amygdale, petite structure en forme d’amande située dans le cerveau antérieur, c’est-à-dire dans une région phylogénétiquement «ancienne» du cerveau. Courtcircuitant
le cortex – partie phylogénétiquement plus «jeune» du cerveau, siège du raisonnement ainsi que d’autres
fonctions supérieures – les informations des organes sensoriels signalant un danger vont droit à l’amygdale. Il est vrai que, par des détours, elles atteignent également le cortex, mais l’amygdale est plus prompte à réagir. Alertée d’un danger potentiel, elle entre en action avant même que nous ayons compris ce qui se passe. Alors
que le cortex est encore occupé à traiter le facteur de stress, elle dépêche déjà des neurotransmetteurs qui vont déclencher dans le cerveau et le corps une cascade de réactions.
Réactions de combat et de fuite
En libérant de l’adrénaline et de la noradrénaline, c’est-à-dire des hormones de stress, l’amygdale induit une
réaction de combat ou de fuite: la tension artérielle s’élève, le pouls s’accélère et le débit sanguin augmente fortement dans les muscles des bras et des jambes, préparant le corps à la fuite ou au combat. L’organisme humain dispose ainsi des moyens de répondre rapidement à un danger et de se protéger. Si les facteurs qui déclenchent la réaction de stress ne sont généralement plus aussi menaçants aujour d’hui que jadis, la façon dont le cerveau réagit n’a guère changé depuis les temps anciens.
Lorsqu’un stress persistant entretient un état d’excitation permanent, les problèmes de santé ne sont jamais loin. Le fait est démontré par plusieurs études scientifiques: un stress sévère et prolongé entraîne pour le cerveau des dommages directs en ce qu’il détruit des dendrites, autrement dit des prolongements du neurone qui jouent un rôle capital dans la conduction de l’influx nerveux.
Le stress restreint la capacité de réflexion
Le chercheur américain en neurosciences américains, Bruce S. McEwen est convaincu que les quantités d’hormones de stress auxquelles une personne est exposée durant sa vie ont une influence notable sur le processus de vieillissement de son cerveau et de son corps en général. Un stress permanent empêche l’individu de se concentrer, le conduit à des oublis importants et interfère avec ses capacités d’apprentissage. Son intérêt pour le monde ambiant, la nouveauté, l’inconnu baisse car l’individu stressé est trop occupé de lui-même. En un mot comme en cent, le stress restreint la capacité de réflexion de l’être humain.
Levons le pied!
La vie moderne foisonne de possibilités de divertissement. Toujours plus vite, toujours plus fort: les nouvelles
technologies abolissent le temps et la distance. Information continue, joignabilité permanente, Facebook, Internet sur le téléphone portable: plus ça va, plus les promesses des moyens modernes de communication se transforment en facteurs de stress. Lever le pied? Prendre du recul? Très bien, mais où trouver le temps?
Notre santé mentale a cependant un besoin urgent de pauses régulières. A pédaler comme un hamster dans sa roue, l’homme y laisse sa fantaisie et sa créativité et met en danger ses relations sociales et sa santé.
S’opposer à l’accélération de la vie est difficile. On a beau se plaindre du manque de temps, on ne renonce pas
de gaieté de coeur aux conquêtes de la modernité. L’accélération de nos vies – il faut bien l’avouer – nous procure aussi des plaisirs. Qui cherche à se donner davantage de temps, à ne pas se laisser entraîner sans résistance par le tourbillon voit se dresser devant lui quatre obstacles:
1. Le manque de temps n’est pas un problème individuel que l’on résout en s’organisant mieux. Il s’agit – n’en déplaise aux donneurs de leçons – d’un problème collectif. Lorsque l’on vit entouré de gens pressés, on ne peut pas être soudain le seul à flâner.
2. Notre société a tendance à subordonner les loisirs au principe d’utilité: power yoga à l’heure du déjeuner,
aérobic à la sortie du travail, wellness le week-end. C’est oublier que le mot «loisir» signifie, à l’origine, «état dans lequel il est loisible, permis à quelqu’un de faire ou de ne pas faire quelque chose».
3. En ayant des attentes souvent démesurées, nous nous empêchons nous-mêmes de faire de nos loisirs un plaisir. Ne rien faire passe pour improductif et désolant. Quel ne doit pas être le sentiment de culpa- bilité de ceux qui, dans notre société de rendement, sont empêchés de faire un travail productif!
4. Notre prospérité met à notre portée une variété inépuisable de loisirs. Or plus l’offre est grande, plus il est difficile de faire un choix. Encore un facteur de stress.
Paradoxalement, nous avons tendance à combattre le stress par le mal même auquel nous le devons: en ajoutant de la consommation à la consommation. Cours de relaxation, musique de détente, vacances wellness. Il serait bon de rompre de temps en temps avec la logique funeste du toujours plus. Savoir préserver cette forme d’autodétermination est sans doute le moyen le plus sûr de trouver cette paix intérieure à laquelle le genre humain aspire tant.

