
Les mains sont crispées sur l’arceau de sécurité. Le wagon gravit mètre par mètre la pente du grand huit et s’immobilise tout en haut de celui-ci, d’où l’on découvre d’un seul coup le plongeon presque vertical de la descente. Le cœur battant, la langue sèche et le cerveau qui comprend soudain qu’il n’est pas de retour possible. La perte de contrôle est totale, la pression artérielle élevée, la musculature tendue à l’extrême: le stress à l’état pur. Puis un cri, le souffle coupé, l’estomac révulsé – le wagon plonge dans l’abîme. Quelques minutes plus tard, le soulagement. L’épreuve est passée. Dans le corps se répand une sensation de bien-être proche de l’euphorie.
Le stress est une réponse naturelle à un danger. Il active le corps, le mettant en état de fuir ou d’attaquer. Le stress alerte; il donne vitesse et efficacité. Il décuple nos facultés. Le danger écarté, sont sécrétées les hormones du bonheur, récompense du cerveau pour une réaction d’adaptation à laquelle nos lointains ancêtres devaient bien souvent leur salut. La plupart des dangers naturels auxquels, grâce au stress, ils échappaient plus ou moins ont été domptés par l’homme. Mais il n’est pas question pour autant de renoncer à la sensation de bien-être, à la détente que procure l’après-stress. C’est elles que nous demandons à un match de football, à un polar ou à un film d’horreur. À la fête foraine, au saut à l’élastique, c’est du danger sans risque d’accident que l’on achète. Le sport expose le corps à un stress physique, la sauna à un stress thermique, les technoparties à un stress phonique. Et si nous les aimons autant ces stress de courte durée, c’est qu’ils nous font du bien.
Combattre le stress par le stress?
Un stress de courte durée muscle le système immunitaire, active la circulation sanguine, dispense pep et bonheur. «Expériences traumatisantes mises à part, un stress de courte durée n’a presque jamais d’effet néfaste pour l’esprit et le corps. Ce qui dure longtemps, par contre, peut être dangereux, la réaction de stress étant conçue en vue d’un usage de courte durée», écrit le journaliste scientifique Urs Willmann. Un stress fréquent et prolongé fatigue l’organisme. Un cerveau constamment sous pression manque de repos. Cela peut rendre malade. À ce stress négatif, Urs Willmann conseille d’opposer un stress de courte durée, dispensateur d’effets bienfaisants. Un stress de courte durée favorise la récupération et protège du burnout. Un film d’action, une bonne séance de course à pied aide à s’extraire du stress de longue durée, à se débarrasser d’un trop-plein d’énergie, à se libérer la tête. Une réaction de stress de grande intensité ouvre la voie à une détente maximale. Un organisme sous stress sécrète de l’ocytocine, une hormone qui combat les phénomènes inflammatoires, guérit les plaies et aide les cellules cardiaques fatiguées par une vie trop agitée à se régénérer.
Une affaire de tête
La capacité à supporter le stress dépend beaucoup de l’idée que l’on s’en fait. Il est possible d’en utiliser les bienfaits pour se protéger de ses méfaits. C’est ce que démontre fort bien une expérience réalisée à Harvard. Les personnes participant à cette étude avaient à évoquer leurs faiblesses et leurs défauts devant un auditoire d’une insolente indifférence et à résoudre tout de suite après des problèmes de calcul. Les chercheurs avaient expliqué à une partie d’entre eux que le stress allait les aider, qu’il ne fallait pas avoir peur si leur pouls s’emballait, s’ils transpiraient ou avaient le souffle court, que cela signifiait simplement qu’ils étaient pleins d’énergie. Ces participants-là se sentirent plus sûrs d’eux et moins stressés que ceux à qui rien n’avait été dit, et ce alors même que les deux groupes accusaient des manifestations de stress objectivement mesurables. Normalement, un cœur sous stress bat plus vite, et cette accélération s’accompagne d’une constriction des vaisseaux sanguins, raison pour laquelle un stress chronique est dangereux pour le cœur. Les participants qui avaient été rassurés quant au stress qu’ils allaient subir virent certes s’accélérer leur fréquence cardiaque, mais sans constriction concomitant de leurs artères. Tirant parti de tous les bienfaits possibles du stress, ils en avaient du même coup neutralisé les dangers qu’il peut présenter pour la santé. Moralité: qui voit les bons côtés que peut avoir le stress fait meilleur ménage avec lui.

