Ratés, trébuchements, gaffes

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Hantise des présentateurs et des présentatrices de la télévision ainsi que des politiques (hommes et femmes), le lapsus est inopiné, imparable, dévastateur. Il pousse au fou rire la salle que l’on souhaitait recueillie, réduit à néant la charge contre l’adversaire dont on estropie par mégarde le nom, coupe net la belle envolée en faveur du retour aux courses et enjoint à ceux qui ont la possibilité d’éviter de ne pas prendre l’autoroute de le faire. Malicieux, il a vite fait de transformer une consolation en consolidation, une famille recomposée en famille décomposée, un rat musqué en rat musclé ou en noyades les naïades qui peuplent la plage. Il est le régal des muscles zygomatiques, qui se contractent de plaisir sous l’effet de ses facéties. Le lapsus est partout, il n’épargne personne, et surtout pas les politiques. Exemple Edmund Stoiber, ancien ministre-président de la Bavière, qui prétendait un jour, devant un Bundestag éberlué et rigolard, savoir « ce que ça veut dire que d’être mère de trois enfants en bas âge ». Passons pudiquement sur celui, récent, de Rachida Dati, pour déplorer le lapsus volontaire dont certains, conscients de son impact, font un outil de communication, un moyen de marquer, par exemple, leur passage sur un plateau de télévision. Efficace, paraît-il, mais beaucoup moins drôle. N’est pas Pierre Repp qui veut.

La langue nous fourche toutes les dix minutes en moyenne, voire plus souvent lorsque nous sommes stressés. Pour le psychanalyste Sigmund Freud, le lapsus – acte manqué du langage – est la manifestation d’intentions réprimées et témoigne d’un conflit psychique qui cherche par ce moyen à se réintroduire dans le conscient. Freud n’a jamais fourni d’explication scientifique de cette thèse. Son impact a pourtant été tel que l’expression de « lapsus freudien » est passée dans le langage courant.

Dans « Psychopathologie de la vie quotidienne », Sigmund Freud considère le lapsus comme un acte manqué, plus proche peut-être de la véritable pensée du locuteur que ce qu’il avait l’intention de dire et qui pourrait être interprété en tant que tel. Pour illustrer cette théorie, il cite le cas d’un homme qui, voulant dire (en allemand) «Es sind Tatsachen zum Vorschein gekommen» (des faits sont apparus), utilise le mot Vorschwein. Or Schwein signifie porc. Lorsque Freud le rend attentif à ce lapsus, l’homme convient que les faits en question lui inspirent du dégoût. Il était évident pour Freud que ces actes, pour être manqués, ne sont pas gratuits et qu’ils constituent pour les vraies pensées un moyen de s’inviter dans le champ du conscient.

Tel n’est pas le point de vue de Helen Leuninger, professeur de linguistique à l’Université de Francfort, qui a étudié pendant plusieurs décennies le phénomène du lapsus et la façon dont il est produit dans le centre du langage.

Pour elle, les lapsus sont des ratés tout ce qu’il y a de plus banal, parfaitement fortuits et involontaires. Ils ne sont pas très fréquents : un en moyenne pour mille mots prononcés, estime-t-on. Autrement dit : en parlant de façon ininterrompue à vitesse normale, la langue nous fourcherait toutes les dix minutes environ. Selon les observations de Helen Leuninger, le lapsus est plus fréquent lorsque le locuteur est ou particulièrement concentré ou particulièrement épuisé. C’est apparemment lorsque l’on se sent en harmonie avec soi-même qu’il est le plus rare. Et il n’est en tout cas pas, précise-t-elle, le signe d’un manque d’intelligence mais le produit d’un dysfonctionnement momentané de nos outils internes de planification langagière.

Helen Leuninger fait encore observer que les lapsus ne sont pas gratuits et qu’ils obéissent à certaines règles. Les permutations de mots ou de sons sont fréquentes (« Nous n’irons pas au soir ce bois »), de même que les fusions de locutions (« un exemple tiré par la queue », fusion de « tirer par les cheveux » et « tirer le diable par la queue ») ou les anticipations (dire, par exemple, d’une femme poussée à la prostitution qu’elle a été « cataputée » sur le trottoir).

La théorie du lapsus freudien est-elle invalidée pour autant ? Jusqu’à quel point Freud avait-il raison ? Vaste question, dont on n’a pas fini de débattre. La professeur Marianne Leuzinger-Bohleber, directrice de l’Institut Sigmund Freud de Francfort-sur-le-Main, rappelle à ce propos : « Lors - qu’un patient dit constamment « ma mère » au lieu de « ma sœur », cela est sans doute significatif de sa relation, et le moins que l’on puisse faire n’est-il pas d’approfondir la question ? » Les lapsus peuvent certes faire apparaître des thèmes qui nous préoccupent à la marge. Notre entourage peut-il pour autant en tirer des conclusions quant à notre pensée ou notre psychisme ? Pas si sûr.

 

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